ACCIDENT DE STE-SUZANNE (suite)


   
 

 

Reçu par E-mail sur le site canyoning,
voici le
témoignage d'un des 2 accompagnateurs du groupe de 11 canyoneurs pris par la brusque montée d'eau. Fort heureusement, il n'y a eu aucune victime dans ce groupe, et seuls 3 membres sont restés bloqués derriere une cascade plusieurs heures avant d'être secourus. Ce récit confirme la brutalité de cette vague et son caractère à priori imprévisible.

" J'étais un des deux "guides" qui menions le groupe de 11 personnes samedi dernier à la Rivière Ste-Suzanne. ...
Il y avait effectivement 2 groupes ce samedi-là dans le canyon. Le nôtre constitué de 11 personnes et un autre groupe constitué de touristes emmenés par des professionnels de la société " X ". Nous ne connaissions pas l'existence de ce deuxième groupe qui se trouvait en amont par rapport à nous. Lorsque la vague est arrivée sur eux, le guide et un touriste italien ont été emportés. Le guide a passé une cascade de 25m et a réussi à s'en sortir. Lui, c'est un vrai miraculé! Malheureusement, vous connaissez ce qui est advenu du touriste italien. ...

Mon copain canyoneur avait équipé ce dernier rappel et était descendu le premier pour assurer par le bas. Il était dans la grotte avec les deux suivants dont le fils d'un autre membre du groupe qui se trouvait au-dessus. Je me trouvais au-dessus du dernier rappel de 35m pour placer les autres participants sur la corde. C'est mon fils de 14 ans qui se trouvait juste derrière nous qui a entendu un bruit, s'est retourné et a crié. A peine le temps de tourner la tête, et la vague de 1,5-2m balayait tout sur son passage, basculait dans le vide, s'écrasait en bas et rebondissait plus loin. Une vraie vision d'apocalypse !!

Nous connaissons très bien ce canyon et l'existence de cette grotte. J'étais sûr à 99% qu'ils étaient relativement en sécurité à l'intérieur de cette grotte et qu'il suffisait d'attendre la baisse du débit pour les faire sortir. Le problème, c'est le doute créé par ce 1% d'incertitude, car le mur d'eau devant la grotte était vraiment trop puissant et il était impossible de voir quoi que ce soit à l'intérieur. Vers 23h, le débit ayant baissé, le PGHM est revenu avec un groupe électrogène portatif et un gros projecteur. Ils ont pu alors apercevoir les 3 casques à travers le rideau d'eau. L'angoisse s'est alors évanouie. Ils sont ensuite remontés prendre du matériel, nous ont invités à remettre nos combinaisons pour aller délivrer nos copains, ce que nous nous sommes empressés de faire. Un des membres du PGHM, assuré par ses collègues, a réussi à longer la paroi et à passer sous le rideau d'eau. Quelques secondes plus tard, nos copains sortaient. Ils ont surtout eu froid, étaient très fatigués par les embruns de la cascade qui leur ont fouetté le visage pendant 8 heures. Mais le plus dur pour eux a également été le doute car ils ne savaient pas ce que nous étions devenus et pensaient que 3 ou 4 membres du groupe avaient dû être emportés.

Je confirme donc que nous avions bien vérifié la météo qui avait annoncé 3mm de pluie la veille, du soleil pour le samedi matin et des averses éparses l'après-midi. Nous avons pénétré dans le canyon à 8h30, le débit était normal et le ciel ensoleillé. Nous avons déjeûné vers 13h et plusieurs d'entre nous avaient enlevé leur combinaison pour profiter du soleil. Le débit était toujours inchangé. A l'avant-dernier rappel, nous avons eu une averse. Nous nous sommes ensuite présentés au dernier rappel avec un débit toujours inchangé. C'est alors que la vague est arrivée ...

Je ne souhaite à personne de connaître ce que nous avons vu. Nous avons eu énormément de chance de nous en sortir tous les 11: les trois qui étaient dans la grotte et qui n'avaient pas encore entamé la traversée du bassin à la nage, personne ne se trouvait sur la corde, les autres étaient derrière moi sur le côté protégés par un gros rocher alors que d'habitude tout le monde est éparpillé au soleil sur les rochers en attendant son tour. Si cela était arrivé une demi-heure avant ou après, nous étions tous les 11 au milieu de la rivière et aurions été balayés comme des fétus de paille. D'après les membres du PGHM, il s'agirait probablement d'un glissement de terrain qui aurait provoqué un barrage qui se serait ensuite laissé aller sous la pression de l'eau accumulée.

Nous avons simplement eu le malheur d'être là ce samedi. Pourtant, le canyonig n'est pas en cause. Je n'ose imaginer les conséquences si cette vague était arrivée le dimanche vers midi avec toutes les familles qui vont pique-niquer au bassin Bœuf et à la cascade du Niagara.

Mais maintenant, j'ai peur. Il me faudra certainement quelque temps pour oublier ces images. "

HYPOTHESES CONCERNANT CETTE BRUSQUE MONTEE DES EAUX

S'agissant du mécanisme d'écoulement de l'eau dans un bassin versant, on peut imaginer plusieurs hypothèses :

- Le phénomène incriminé ne peut pas être lié à une montée d'eau dans la rivière de façon progressive comme lors de chutes de pluie sur un terrain déjà fortement saturé en eau (ce qui n'était pas le cas dans ce secteur). La montée en charge de la rivière se serait fait de façon progressive et non sous la forme d'une vague. Ces écoulements de crue peuvent s’expliquer par un excès de saturation du milieu, en conformité avec la théorie des " aires contributives saturées". Des mesures de terrain montrent que la propagation du ruissellement de surface, le long du versant jusqu'à la rivière, varie en fonction de la géométrie du versant, des variations temporelles et spatiales des états de surface et des teneurs en eau le long du versant (état de saturation des sols en eau). (études SHF )

- Il peut s'agir du lâchage d'un barrage naturel formé dans le lit de la ravine en amont (par accumulation de débrits végétaux ou d'un glissement de terrain obstruant le canyon). Sous l'accumulation d'eau et sa poussée, ce barrage cède , d'où formation d'une vague brutale balayant tout. Ce phénomène devrait être ponctuel, c'est à dire une fois le réservoir vidé et la vague passée (une dizaine de minutes), le débit de la ravine aurait du reprendre son débit normal...ce qui n'a pas été le cas, puisque le débit est resté monstrueux pendant huit heures?...

- la Troisième hypothèse est celle d'un mécanisme de ruissellement de surface et de cheminement des eaux que l'on peut comparer au modèle expérimental d'un entonnoir :
Les conditions météo étaient telles ce 7 Mars que des pluies de délenchement brutal et très intenses (orage, ce qui est très rare à la Réunion) sont survenues en début d'après-midi bien en amont, sur les hauts, dans le bassin de ruissellement de la rivière Ste-Suzanne, alors que plusieurs km plus bas, au niveau des groupes de canyoning, le soleil brillait et le débit était faible.
modèle de l'entonnoir : Des gouttes de pluie commencent à tomber au même moment sur tout le pourtour de la base évasée de l'entonnoir (bassin de ruissellement d'une ravine), et toutes ces gouttes vont ruisseler à la même vitesse en direction de la partie rétrecie du cône. L'ensemble des gouttes va donc se retrouver de façon synchrone au début du tuyau (étroiture du canyon proprement dit), et une masse d'eau va alors emplir le tuyau brutalement (la vague). Cette masse d'eau va garder le même débit dans l'étroiture, tant que plus haut, les gouttes continuent à tomber avec la même régularité à la base du cône.
C'est ce qui semble s'être passé, puisque les pluies orageuses dans le bassin de ruisselement de la Rivière Ste-Suzanne ont duré plusieurs heures, ayant débuté de façon brutale (comme c'est le cas pour les orages)
, c’est alors tout d’un coup l’ensemble du versant qui participe aux écoulements de la crue, d’où la brutalité de la vague. La quantité de pluie nécessaire pour atteindre le seuil d'apparition de cette crue est très variable en fonction des conditions hydriques préalables. (la saturation des sols dans les hauts de la côte au vent de la Réunion est en permanence importante)

Nous avons pour notre part deux récits de canyonneurs surpris par de telles vagues (l'un dans Colimaçons, canyon habituellement sec, et l'autre dans Dudu), et à chaque fois, le phénomène semble extrémement brusque , avec une pluviométrie sans particularité au niveau du groupe en cheminement dans le canyon. S'agit-il d'une spécificité à la Réunion lié à l'hydrologie particulière ?... A méditer !


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