Accident de Canyoning lors d'un entrainement avec les Gendarmes

   
 

 

( Documents Le Journal de l'Ile )


Un éboulement endeuille l'entraînement de canyoning avec une équipe du PGHM (gendarmerie)

Un médecin du Samu tué et trois blessés

Pour la seconde fois en un an, la rivière Sainte-Suzanne a été le théâtre d'un accident dramatique. Hier, alors qu'ils participaient à un entraînement de canyoning au bassin Buf avec une équipe du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), un médecin du SAMU du CHD de Bellepierre, père de trois enfants, a été tué par un éboulis totalement imprévisible. Deux autres médecins ainsi qu'un gendarme du PGHM ont été blessés. Leurs jours ne sont pas en danger. Une enquête, menée par la brigade des recherches de Saint-Denis, a été ouverte. Elle doit permettre d'établir les circonstances de ce drame qui a plongé les équipes du Samu et de la gendarmerie dans la consternation et l'incompréhension.

Au départ, l'histoire n'a rien d'un drame. Elle débute hier matin à 7 h 15 à la caserne de la Redoute, devant les locaux du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM). Au rendez-vous : six médecins du Samu du centre hospitalier départemental de Bellepierre, trois gendarmes du PGHM dont l'adjudant-chef Roger Hémin et deux journalistes du Journal de l'île venus dans le cadre d'un reportage sur une séance de formation et d'entraînement à laquelle vont participer les deux équipes des professionnels du secours (voir par ailleurs). Après avoir vérifié le matériel, le départ pour le bassin Buf à la rivière Sainte-Suzanne a lieu vers 8 h 30. Les hommes du PGHM connaissent bien les lieux. Il est réputé comme parfaitement sécurisé, certains ont descendu la rivière plusieurs dizaines de fois. Pas de difficultés particulières donc. Du côté des médecins du Samu, cette opération canyoning doit leur permettre d'acquérir les bases de la progression en canyon et de la manuvre avec l'assistance d'un hélicoptère. Là aussi, pas d'appréhension visible. Les conditions météorologiques sont très agréables. La journée s'annonce parfaite.
Peu après neuf heures : arrivée en voiture à Bagatelle dans les hauts de Sainte-Suzanne. Sous la houlette de l'adjudant-chef Hémin, une partie du groupe s'engouffre dans le sous-bois pour gagner le bassin Buf. C'est ici même, dans le lit de la ravine, vers 9h45, que seront déposés par hélitreuillage, en trois rotations avec l'Alouette 3 bleue de la gendarmerie, une partie des médecins embarqués sur le stade de football de Bagatelle.
Au fil de la matinée, ils passent plusieurs cascades, pour lesquelles les descentes en rappel varient entre quinze et vingt-cinq mètres. Le parcours se fait sans embûche jusqu'à une nouvelle descente en rappel - l'avant-dernière - d'environ quinze mètres, qui doit s'achever par un "pendulaire" avant de gagner une sorte de plage en pied de paroi et avant de franchir le bassin Coquille dans lequel se jettent deux cascades.
Comme à chaque rappel, un gendarme du PGHM précède le groupe pour assurer la sécurité à la réception. Trois médecins du Samu s'engagent successivement sous l'il des gendarmes restés en haut. Alors qu'un quatrième s'apprête à entamer sa descente, une détonation, décrite par certains des témoins comme un "tir de mine" retentit, suivie d'un bouillonnement, à 12h50 exactement comme l'a noté l'un d'entre eux. Premier réflexe : regarder derrière si ce n'est pas un torrent d'eau qui arrive. En fait, c'est une masse rocheuse estimée à 20 mètres cubes, soit environ cinquante tonnes de pierres, qui s'est détaché à quelques mètres au-dessus du bassin et s'est abattue. D'où ce fracas entendu par l'équipe restée en haut. Dans l'eau limpide, une onde boueuse se propage en quelques secondes. Un drame vient de se produire, tous en sont persuadés.
Dans les secondes qui suivent, l'alerte est donnée par radio pour demander l'hélicoptère. Tandis que les gendarmes entament la descente pour dresser un bilan qu'ils craignent déjà très lourd, le reste du groupe attendra en sécurité sur le surplomb. Une attente interminable, où l'on croit entendre le bourdonnement de l'Alouette 3 qui n'est en fait qu'une variation du grondement de la rivière. Elle survolera la zone une trentaine de minutes après l'accident, peu avant 14h30.
Près d'un quart d'heure plus tôt, les gendarmes ont traversé le bassin à la nage, soutenant chacun un corps inerte à la surface Mais pas question de hisser ces deux premières victimes au sec: cette manuvre risquerait d'aggraver un possible traumatisme à la colonne vertébrale; elles seront maintenues dans le bassin, protégée de l'eau froide par leur combinaison néoprène qui les aide à flotter, comme sur un matelas à eau. L'une d'entre elles a la cage thoracique enfoncée.
Le gendarme Christian Tibert, âgé d'une quarantaine d'années, qui doit prendre sa retraite l'an prochain, est pour sa part moins touché. Projeté dans le bassin par l'avalanche rocheuse qui lui a en partie arraché son sac à dos, il a brièvement perdu connaissance, il souffre d'un traumatisme cranien et d'une fracture d'un poignet.
Mais le pire est à venir. Les gendarmes le savent déjà depuis qu'il ont fait le tri des victimes Un médecin interne du Samu, marié et père de trois enfants, se trouve au pied de la paroi, écrasé par un bloc de pierre de près trois tonnes qui bloque son corps.
Sans attendre l'arrivée de l'hélicoptère, deux des trois médecins restés en haut se sont employés à rejoindre le bassin Coquille avec l'aide d'un gendarme quand enfin l'hélicoptère se présente et entame la dépose par hélitreuillage d'autres médecins, d'hommes du PGHM mais aussi de matériel tels qu'une bouteille d'oxygène, des matelas-coquille et des coussins de relevage, qui permettront de soulever les blocs sous lequel se trouve l'un de leurs confrères. Les gendarmes de Saint-Denis sont prévenus. Le procureur de la République Jean-Marie Huet, le colonel Noël Frizon et le préfet sont mis au courant. Après avoir été conditionnés aussi parfaitement que faire se peut, les deux médecins et le gendarme blessés sont hélitreuillés puis évacués vers le CHD Bellepierre. Le corps de la victime décédée prendra le même chemin. Pendant ce temps, les autorités judiciaires et préfectorales se rendent sur les lieux puis au stade de Bagatelle où les équipes de gendarmerie font le point de la situation.
Le bilan est inchangé : un mort et trois blessés. A 17 heures, les rotations de l'hélicoptère prennent fin. Un point presse est alors organisé à la préfecture. Le représentant de l'Etat annonce qu'une enquête préliminaire a été ouverte et qu'elle sera menée par les hommes de la brigade des recherches. Elle devra permettre d'établir les circonstances exactes de l'accident. A l'heure actuelle, ni le matériel, ni la responsabilité des accompagnateurs ne sont mis en cause.
Sur les lieux du drame, il reste encore l'adjudant-chef Hémin et son adjoint qui répondent aux questions des journalistes, la gorge serrée, d'autant plus sous le choc qu'un tel accident ne s'est jamais produit auparavant. Un accident où seule la fatalité semble responsable.


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Le PGHM assurait l'instruction
des médecins du Samu

Presque tous les mois, le PGHM et le Samu se retrouvent. Une convention signée entre la préfecture et le Samu prévoit dans le cadre du plan de secours spécialisé (PSS) "secours en montagne" une formation au canyoning pour les médecins volontaires du Samu. Ils apprennent à s'acclimater aux conditions de travail des hommes du peloton de gendarmerie de haute montagne - secours, hélitreuillage - avec lesquels ils sont amener à collaborer régulièrement dans le cadre de leurs interventions.

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Le bassin Coquille fermé

Dans les prochains jours, le peloton de gendarmerie de haute montagne procèdera à la fermeture de la portion de la rivière Sainte-Suzanne où s'est produit le drame d'hier en déséquipant la cascade. Bien que l'endroit ne soit pas jugé dangereux, les autorités souhaitent prévenir tout autre accident, lié à d'autres éboulements encore possibles. Généralement chargé des enquêtes sur les accidents de montagne, le PGHM passera cette fois-ci le relais aux hommes de la brigade des recherches de Saint-Denis, étant donné son implication dans cette affaire.

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Une des descentes les plus fréquentées
du nord de l'île

L'ensemble du parcours de la rivière Sainte-Suzanne a été ouvert en 1989 par une équipe de kayakistes extrêmes composée d'Allemands, d'Italiens et de Français. L'ensemble du parcours offre un dénivelé de 530 m pour une distance de 6,5 kilomètres, réalisable entre sept et neuf heures. Mais ce canyon "vert" (par opposition aux canyons "bleus", très aquatiques) est peu engagé et présente de nombreuses possibilités d'achappatoires permettent d'envisager des descentes courtes sur une demi-journée. Certaines portions peuvent même servir d'initiation. Pour cette raison, la plupart des prestataires de services l'incluent dans leurs programmes, même réservés au quasi-débutants.

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Une activité à risques

Plusieurs accidents mortels liés aux activités d'eau vive se sont déjà produits depuis une dizaine d'années seulement que le canyoning est pratiqué à la Réunion, bien que le drame de Sainte-Suzanne n'ait pas d'égal semble-t-il.
Devant l'ampleur prise par la pratique de cette activité dont 99,99 % des sorties se passent pourtant sans le moindre problème, les autorités préfectorales ont décidé de réagir en août dernier pour alerter leurs pratiquants sur les dangers liés à la pratique de cette activité. "Paradis du canyoning" (c'est d'ailleurs le titre de l'ouvrage de référence de Pascal Colas qui décrit une multitude de parcours dans toute l'île) la Réunion dispose d'une centaine de gorges encaissées déjà "explorées". Jugés trop dangereux, une vingtaine de sites sont interdits aux cinq sociétés privées spécialisées dans la pratique de cette activité et l'encadrement de groupes. Terrains de jeux privilégiés de ces professionnels, Trou-Blanc, Fleur-Jaune ou encore le canyon Sainte-Suzanne font partie des plus prisés. En pleine saison touristique, certains canyons accueillent plusieurs groupes tous les jours. Pour les as de cette discipline, la Réunion offre la descente du Trou de Fer, "le" rêve de tout canyoniste de l'extrême. Devant cette soudaine renommée mondiale et l'afflux de sportifs venus pour vivre leur passion dans un cadre unique, les autorités ont réagi pour prévenir les accidents. Dans cette optique de sécurisation, la préfecture, le ministère de la Jeunesse et des sports, Météo-France et le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) ont édité un mini-guide riche en conseils pratiques. Il décrit d'ailleurs le caractère très "piégeux" du canyoning : une météo tropicale imprévisible, capable de vous précipiter 150 mm d'eau en moins de trois heures et le caractère très encaissé et abrupt de bon nombre de canyons, sans parler du caractère très abrasif du basalte, la roche volcanique qui compose plus de 99% du sol de l'île.

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Trois accidents
en un an

En un an, c'est le quatrième accident de canyoning à la Réunion. - Le 12 mars 1999, à la rivière Sainte-Suzanne déjà, il y a presque un an jour pour jour, quatre canyonneurs sont portés disparus. Il sont surpris par des pluies torrentielles sur les hauts de l'île. D'importants moyens de secours sont déployés par les corps des sapeurs-pompiers et de la gendarmerie. Les secouristes tentent de trouver une faille dans la nature, afin d'accéder aux différents bassins : Nicole, Buf et Grondin. En vain. Le lendemain, le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) récupère les quatre sportifs. L'un d'eux, un touriste italien de 35 ans, est décédé. Il est retrouvé à environ 200 mètres de la cascade Niagara. Soit à plus de quatre kilomètres du point initial.
- Le 11 septembre de cette même année, Frédéric Bertil, un pratiquant pourtant chevronné de Petite-Ile, âgé de 22 ans, trouve la mort dans la vallée de la rivière des Remparts, au terme d'une chute d'une dizaine de mètres dans le bras de Dimitile. Il a commis l'imprudence de partir seul et ne possédait pas une corde suffisamment longue, ce dont il ne se serait pas aperçu. L'enquête conclut que le jeune homme a probablement heurté un rocher au cours de sa chute.
- Dimanche dernier, une sortie de canyoning organisée à Saint-Benoît tourne mal. Un marin du porte-avions Foch est sauvé de justesse au bassin La Mer sous les yeux de cinq de ses camarades. Suite aux pluies de la veille, le courant est assez fort et le niveau de l'eau de la rivière des Roches a monté. En tentant une traversée, deux d'entre eux sont emportés mais parviennent à atteindre la rive. Un troisième a moins de chance. Son pied reste coincé sous des galets et seule sa tête reste émergée. Il ne peut plus bouger et ses copains ne peuvent pas l'aider. C'est un témoin qui alerte les secours. L'hélicoptère est indispensable. Le PGHM intervient avec le Samu. Ensemble et avec l'aide des bénévoles, ils parviennent à le sortir de l'eau au bout d'une demi-heure.

Mercredi 15 Mars 2000