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Une nouvelle expédition
menée par Pascal Colas à Cilaos, qui a permis de retrouver
des traces de campements dans une vallée particulierement
isolée, perchée entre les cirques de Mafate et de
Cilaos. Ces camps seraient ceux de "marrons" (esclaves
s'étant réfugiés dans les montagnes, après
s'être enfuis).
DEUX CAMPS ET DES TRACES DE PRÉSENCE HUMAINE DÉCOUVERTS
DANS UNE VALLÉE INEXPLORÉE
Le Grand Bénare sanctuaire de marrons 
Les six expéditions conduites par Pascal Colas entre
le Grand et le Petit Bénare en direction du cirque de Cilaos
confortent l'hypothèse que ce massif fut un des hauts lieux
du marronnage. Des traces indiscutables de présence humaine,
avec notamment l'exploration minutieuse de deux camps de marrons
aperçus lors d'expéditions précédentes
dans une vallée inaccessible perchée à plus
de 2 000 m d'altitude, le confirment. Cette sixième expédition,
à laquelle le Journal de l'Ile a été une nouvelle
fois associé, a également permis de découvrir
les sources de la ravine Fleurs Jaunes.
Mozart tourne sur la platine. Pascal consulte minutieusement
les notes prises lors de ses trois expéditions précédentes
dans le massif du Grand Bénare conduites à partir
du sommet. "Nous avions monté la première en
octobre 1993, explique le guide de haute montagne. Baptisée
le bal des pétrels, elle nous avait fait suivre une ligne
de crête. Nous étions arrivés par des rappels
successifs au bout de la Vallée Perdue côté
Cilaos. La seconde, Voyages en novembre 1994, nous a fait aboutir
de la même manière au col surplombant Mafate. C'est
à cette occasion que nous avons découvert un pic autour
duquel des oiseaux tournoyaient en permanence. Après en avoir
parlé à l'ornithologue Jean-Michel Probst, nous nous
sommes aperçus que nous étions tombés sur le
premier site de nidification des pétrels de Barau officiellement
recensé. En janvier 1995, accompagné de Jean-Michel
et d'Hervé Douris, nous nous sommes faits déposer
en hélicoptère au sommet de ce "HLM à
pétrels". A cette occasion ont été prises
les premières photos d'oiseaux au nid. C'est en explorant
la vallée, alors noyée dans le brouillard, que nous
avons découvert les deux camps de marrons."
CIGARETTES AUX HERBES La petite troupe réunie
met le cap sur le Maïdo, point de départ de la marche
d'approche vers le Grand Bénare d'où nous plongerons
vers la Vallée Perdue (voir encadré). Sous un
magnifique clair de lune et alors que sur la côte scintillent
des lumières, nous entamons l'ascension. Les deux porteurs,
récupérés au passage à Tan Rouge, vont
nous jouer à leur façon la fable du lièvre
et de la tortue à cette différence près que
le lièvre ne fumait pas. Ils partent comme des dératés,
nous ne tardons pas à les rejoindre puis à les dépasser.
Un à un les membres de l'expédition atteignent le
point culminant du Grand Bénare. Mais plus de trace des porteurs
à qui nous avons mis plusieurs heures dans la vue. Le
temps passe et toujours rien à l'horizon. En fait dans la
montée, les deux jeunes gens se sont offerts un petit remontant
sous la forme de cigarettes contenant autre chose que du tabac.
Pascal et Philippe se décident à faire demi-tour et
les retrouvent tranquillement assis 800 m en dessous du sommet.
La séquence explication tourne à l'aigre, mais le
plus gênant dans tout cela est le retard pris sur le plan
de marche. "Cette fois, explique Pascal, nous allons tenter
de retrouver le passage emprunté par les marrons de ou vers
la Vallée Perdue en tenant compte du fait qu'ils n'avaient
rien du matériel moderne que nous emportons." Premier
objectif : le Pic de la Tranquillité, 182 m en dessous du
Grand Bénare. Dans la pierraille et les blocs qui roulent
sous les pieds, il faut organiser une noria de sacs. Compagnons
de route inattendus, deux chiens nous suivent à la trace.
La descente est fastidieuse mais le panorama récompense largement
des efforts. En toile de fond l'arc de cercle de la crête
reliant le Gros Morne au Piton des Neiges. A leur pied, le ronds
du Bras Rouge et sur la droite Cilaos qui s'étale comme une
carte en relief. Au loin, au-delà du rempart du Dimitile
et du Coteau Kerveguen, la masse débonnaire du Piton de la
Fournaise. Le point de vue du Pic de la Tranquillité est
à couper le souffle. Longeant la crête, nous nous
rapprochons du lit d'une ravine à sec où pullulent
les nids de pétrels de Barau. Elle va nous permettre de rejoindre
une plate-forme en contrebas où Pascal a décidé
d'organiser le premier bivouac. Les chiens finissent par nous fausser
compagnie après s'être intéressé de très
près à nos sacs, vaincus par les marches coupant la
ravine. Nous prenons pied sur l'étroite vire de terre
rouge accrochée à la paroi et ouverte sur le vide.
Au terme de cette première journée nous n'avons descendu
"que" 400 m mais sans poser une seule fois un rappel.
Le ciel est avec nous. Pas un nuage. La nuit sera froide mais sèche.
A l'aube, le soleil pointe juste derrière le Piton des Neiges,
encouragement décisif à s'extraire de ses toiles alors
que le cirque de Cilaos est encore plongé dans l'ombre.
UNE TYROLIENNE Une tyrolienne va se révéler
indispensable pour sortir les sacs du nid d'aigle où nous
avons passé la nuit. Voici la ligne de crête dominant
la Vallée Perdue sur la droite. Au delà du rempart
opposé, on distingue parfaitement le col du Taïbit et
dans le prolongement les Trois Salazes. L'heure est venue de mettre
en place le premier rappel de l'expédition. "En fait,
indique Pascal qui a poussé une reconnaissance, il serait
possible de contourner la barre rocheuse mais le passage est particulièrement
vertigineux et il ne faut pas se rater." Une vingtaine
de mètres plus bas, littéralement accroché
à la paroi, Pascal nous montre les camps presque invisibles
au pied du rempart. La rocaille laisse la place à une
végétation assez dense dans laquelle la progression
est assez difficile. De mains courantes en mains courantes et toujours
avec une progression rythmée par le ballet des sacs à
dos nous atteignons l'aplomb du col ouvrant la Vallée Perdue
sur Mafate. Ouvrir est un grand mot, car l'à-pic sur
Marla est impressionnant. Encore un rappel et nous nous retrouvons
aux portes de la Vallée Perdue. Le second bivouac s'organise
sous les branles. Le lendemain, au troisième jour de
la progression, nous allons explorer la Vallée Perdue (voir
encadré). C'est le temps fort de l'expédition mais
nous ne sommes pas au bout de nos émotions. Au débouché
de la vallée côté Cilaos, coup de cur. La ravine
Fleurs Jaunes est largement plus de 100 m en contrebas. Démonstration
est faite que pour atteindre leur refuge, les marrons n'ont pu passer
que par le col du Taïbit et la crête de gauche. Décontracté,
Pascal pose un premier rappel. Vingt mètres en hors-d'uvre
pour rejoindre une étroite vire en contrebas. Au moment de
prendre le départ, dos au vide avec Cilaos sous les fesses,
le cur cogne dans la poitrine. Ce n'est pas de la peur, dans la
mesure où nous avons une entière confiance dans le
guide et le matériel, mais une appréhension devant
la hauteur de la "marche" à franchir. Et ce
n'est pas fini. Encore deux fois 40 m avant d'atteindre les confins
de la ravine Fleurs Jaunes. Tout se passe sans problèmes,
mais lorsque la lanière du casque de Charlotte se prend dans
la corde de rappel alors qu'elle se trouve encore à une bonne
dizaine de mètres du sol, chacun retient son souffle. Pascal
réagit instantanément. Il escalade la barre rocheuse
puis rejoint Charlotte en grimpant à l'une des deux cordes,
coupe la lanière et redescend. Jolie manuvre, dite à
l'italienne pour les spécialistes, mais impressionnante.
VALISES SOUS LES YEUX Allons, il est temps
de poser les sacs. Un balcon ouvert sur Cilaos nous accueille pour
la nuit. En souvenir des porteurs qui nous ont lâchés
nous le baptisons : "bivouac de mi veut mon 600 F". Les
derniers rayons du soleil sur le Piton des Neiges, le Coteau Kerveguen
et la crête du Dimitile et le ballet des nuages qui prennent
les formes les plus inattendues constituent un spectacle de choix.
Mais il est écrit que nous n'en avons pas fini avec les surprises.
A minuit, Pascal bat un rappel précipité. L'orage
menace et à moitié endormi, il faut plier le camp.
En fait, la pluie nous épargne et nous en serons quittes
pour grelotter jusqu'au petit matin couchés sous la bâche.
Quelques valises sous les yeux viennent s'ajouter aux bagages accompagnés
de l'expédition. Au menu de cette dernière journée
la descente intégrale de la partie haute de la ravine Fleurs
Jaunes, jamais explorée jusqu'à présent.
Au pied d'un rappel de 40 m, nous allons découvrir la source
de la ravine. La progression va devenir plus aquatique et au fil
des rappels personne n'échappera vraiment à une petite
trempette. Les eucalyptus de l'îlet Fleurs Jaunes annoncent
le sentier qui musarde entre les chênes avant de plonger sur
la route d'Ilet-à-Cordes. La Vallée Perdue et les
confins de la ravine Fleurs Jaunes ont été rendus
à leur solitude.
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* EBOULIS DANS LE BRAS ROUGE Au deuxième jour
de l'expédition, alors que nous allons entamer le premier
des rappels devant nous conduire dans la Vallée Perdue, plusieurs
sourdes explosions ressemblant à des tirs de mine se font
entendre en direction du Piton des Neiges. Elles annoncent un gigantesque
éboulis dans la partie du Bras Rouge que les amateurs de
canyoning connaissent sous le nom de Bras Rouge supérieur.
Une épaisse fumée de poussières remonte le
canyon. Lorsqu'elle se dissipe, il apparaît que l'éboulis
est parti rive gauche. Témoins impuissants, nous prenons
l'initiative de prévenir la Maison de la montagne dans le
cas où un groupe se trouverait sur place.
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Commentaire
Enrichir la connaissance de l'histoire réunionnaise
Aux pisse-froids qui voudraient interdire totalement les incursions
dans des sites encore inexplorés de notre île, il est
bon de rappeler quelques vérités premières
afin de démontrer comment ces expéditions ont enrichi
les connaissances en matière historique, botanique et sur
le plan de la faune Sans remonter à celles organisées
dans les années 80 par le commandant Mollaret, qui ont permis
de découvrir des ossements humains dans la forêt du
Tapcal, le rempart dominant le Bras de la Plaine et dans le massif
du volcan, les expéditions conduites à une époque
plus récente par Pascal Colas se sont traduites par des découvertes
majeures. En 1995, dans le massif du Grand Bénare est
localisé le premier site de nidification du pétrel
du Barau que les ornithologues recherchaient depuis 1964. En
avril 1999, est mise au jour dans la forêt du Tapcal, une
pierre gravée. En décembre 1999, une nouvelle descente
depuis le rempart du Petit Bénare révèle des
traces de passages humains. Toutes ces découvertes sont
à mettre au crédit d'hommes et de femmes, scientifiques
ou non, mais tous amoureux et respectueux de la nature réunionnaise.
Tous ont eu à cur de ne pas dénaturer les sites qu'ils
ont eu le privilège de découvrir dans des endroits
particulièrement inaccessibles. Ce ne peut être
qu'une étape. Le relais doit maintenant être pris par
ceux qui ont officiellement en charge la préservation du
patrimoine. Un site comme celui de la Vallée Perdue et des
camps de marrons qu'elle abrite mérite des investigations
archéologiques approfondies. Les quelques objets découverts
sans fouilles le prouvent. Aux archéologues maintenant de
prendre le relais.
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Les camps de la Vallée Perdue

Cette vallée, avant que Pascal Colas et ses compagnons
d'expédition ne la redécouvrent pour la première
fois, nul n'en soupçonnait sans doute l'existence. Les marrons,
premiers et uniques occupants des lieux, avaient emporté
le secret dans la mort.
Imaginez, à plus de 2 000 m d'altitude, coincée
entre deux remparts, une étroite langue de terre plongeant
côté Cilaos vers la ravine Fleurs Jaunes par un à-pic
vertigineux de plus de 200 m. Côté Mafate, le plongeon
est encore plus impressionnant sur Marla. Entre ces deux cols,
la Vallée Perdue ou la Vallée Suspendue, les membres
de l'expédition n'étant pas parvenus à se mettre
d'accord sur la dénomination. Peu importe, ce n'est pas
sans une certaine émotion que l'on parcourt ce site invisible,
à moins d'être perché sur les crêtes qui
le dominent de part et d'autre. En effet, les hommes, les femmes
et les enfants qui avaient trouvé refuge en ces lieux désolés
ne cherchaient qu'à préserver leur seul bien, mais
le plus précieux : leur liberté. Partant du col
dominant Mafate en dessous duquel nous avons installé le
second bivouac de l'expédition (lire par ailleurs), la pente
très raide est colonisée par les branles et les fougères.
Puis elle s'adouçit et le sol se couvre d'un tapis d'herbes
piqueté de marguerites. Les deux camps se trouvent non
loin du débouché de la vallée côté
Cilaos, juste en dessous d'un endroit où la gorge se resserre.
Ils se lovent contre la paroi de gauche l'un au-dessus de l'autre
séparés par des bouquets de fougères. Le
camp "amont" est moins élaboré avec son
assemblage de pierres sèches grossier. C'est pourtant dans
celui-ci que Pascal Colas a découvert un morceau de poterie
et le reste d'un outil rudimentaire en fer. Le camp "aval"
forme lui un arc de cercle presque parfait avec des pierres sèches
bien appareillées. Du charbon de bois témoigne de
la présence d'un foyer. Dans les deux camps, on trouve
en quantité des petits os, sans doute ceux de pétrels
de Barau nichant en abondance dans le secteur et qui devaient constituer
l'ordinaire des repas. Dans ce nid d'aigle, comment était
résolue la question de l'eau ? Une ravine se trouve bien
à proximité des camps, mais elle est à sec.
Un peu plus bas cependant, à l'endroit où le rempart
plonge vers Cilaos, un mince filet d'eau vient alimenter une petite
vasque naturelle. A première vue, le site est inaccessible.
"Le seul moyen pour arriver ici, suppute Pascal Colas, est
de monter jusqu'au col du Taïbit, d'escalader le rempart jusqu'à
la ligne de crête dominant la vallée sur la gauche
et de la suivre jusqu'au sommet avant de redescendre vers le col
dominant Mafate. Nous avons d'ailleurs trouvé un troisième
camp au point culminant de la crête de gauche. Sur une pente
fortement inclinée, dissimulé dans les branles, il
y a un muret en pierre de deux à trois mètres de long
sur une hauteur de 50 cm". Samedi
29 Avril 2000
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