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Saint-Joseph : il était parti seul dans la
descente de Grand-Coude - rivière des Remparts
Chute mortelle en canyoning
Il avait pris toutes les précautions d'usage à l'exception
d'une : il était parti tout seul. Frédéric Bertil, un
pratiquant pourtant chevronné de Petite-Ile, âgé de 22
ans, a trouvé la mort dans la vallée de la rivière des
Remparts, au terme d'une chute d'une dizaine de mètres
dans le bras de Dimitile.
Hier, 6h45. Le téléphone sonne à la permanence du
peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), basé à
la caserne de la Redoute à Saint-Denis. A l'aide d'un
portable, trois jeunes canyoneurs lancent un message de détresse
depuis les contrebas de la région de Grand-Coude,
village juché sur l'étroit plateau situé entre la rivière
des remparts et la rivière Langevin. Ils viennent de découvrir
le corps sans vie d'un de leurs amis. Domicilié à
Manapany-les-Hauts, à Petite-Ile, Frédéric Bertil a été
victime d'un accident de canyoning.
Sans plus attendre, l'hélicoptère de la section aéronautique
de la gendarmerie décolle. A son bord, deux gendarmes du
PGHM s'apprêtent à mener une énième opération de
secours en terrain accidenté. L'équipe d'intervention
se dirige vers le bras de Dimitile, un affluent de la
rivière des Remparts, en aval du plus connu bras de
Mahavel et de l'îlet de Roche-Plate.
UNE CORDE TROP COURTE
C'est là, au sommet d'un cassé de 100 mètres, qu'ils
aperçoivent les trois jeunes. En contrebas, le corps de
leur ami gît en partie immergé dans un bassin.
Hélitreuillés jusqu'au corps, les sauveteurs constatent
le décès du jeune homme et effectuent les gestes d'usage.
Pendant ce temps, les amis de la victime sont transportés
par hélicoptère jusqu'au stade de Grand-Coude. C'est du
reste sur ce stade que le corps du jeune homme sera par
la suite examiné par un médecin local avant d'être
transporté à la morgue.
Sur les lieux de l'accident, les gendarmes du PGHM
cherchent à reconstituer le puzzle du drame. Une plaie
sur la cuisse droite laisse penser que le canyoneur a
fait une chute. Mais les circonstances de cette chute
sont loin d'être évidentes. Même si certaines hypothèses
sont d'emblée écartées par les gendarmes.
Une corde est retrouvée près du cadavre. "Elle ne
faisait que 46 mètres. C'était bien trop court pour
descendre une telle falaise", nous confiera par la
suite l'un des sauveteurs. Il semblerait en effet que le
jeune homme soit dans un premier temps arrivé à mi-hauteur
de la falaise. Il avait alors fixé sa corde à l'un des
relais existants pour découvrir, à une dizaine de mètres
du sol, que la corde était trop courte. A ce moment-là,
a-t-il décidé de sauter au lieu de remonter ? Cette
hypothèse est peu probable. En effet, la victime portait
encore son sac à dos. Un autre sac, ventral celui-là, a
été découvert quelques mètres plus loin, les
bretelles arrachées. Or, il semble évident que si le
canyoneur avait décidé de sauter, il se serait débarrassé
de ses sacs avant de s'élancer dans le vide. Alors,
aurait-il été victime d'un malaise ? Rien ne permet
pour l'instant de l'affirmer, alors que l'on tente de
recenser toutes les explications plausibles. Quant aux
causes précises du dèces, outre la chute elle-même,
elles sont pour l'instant inconnues, même si les
sauveteurs penchent pour celle de la noyade, le jeune
homme n'ayant pu se relever de sa lourde chute dans le
bassin pourtant de dimensions modestes.
Ce qui est sûr, c'est que le jeune homme était un
canyoneur aguerri. Bien équipé, il portait son casque
et transportait un équipement complet relativement lourd,
dont une pharmacie d'urgence. Ses proches savaient qu'il
devait s'absenter deux jours entiers. Ses amis
connaissaient son itinéraire par le menu puisque ce sont
eux qui l'avaient emmené en voiture jusqu'à Grand-Coude
jeudi dernier.
DERNIER SIGNE DE VIE JEUDI
De plus, c'est Frédéric Bertil lui-même, aidé de ses
amis canyoneurs, qui avait ouvert cet itinéraire.
Autrement dit, le trajet qu'empruntait le jeune homme de
Petite-Ile avait été reconnu et équipé par lui.
"Les relais étaient en béton", remarquait même
l'un des sauveteurs. Témoignant par la-même du sérieux
avec lequel la voie a été ouverte.
S'il n'était pas tout à fait un professionnel, le jeune
Sudiste n'en était donc pas moins un canyoneur averti.
Sa seule imprudence aura été de s'aventurer seul dans
les gorges du bras de Dimitile. C'est du reste ce qui
rend les circonstances de cet accident aussi obscures.
Outre une corde semble-t-il trop courte le sportif a
vraisemblablement aussi commis une erreur, mais laquelle
? Un pratiquant confirmé du canyoning interrogé hier
soir n'écartait pas l'hypothèse - aussi incroyable
paraisse-t-elle au profane - de l'inattention fatale qui
consiste à descendre sans que la victime potentielle -
tout à son effort - ne s'aperçoive de l'approche de la
fin de la corde
Un doute subsiste également quant à l'heure du décès.
Le corps sans vie de Frédéric Bertil a été découvert
par ses camarades samedi matin à 6 heures. Mais grâce
au carnet de bord que tenait le jeune homme - qui se
montrait très méticuleux en notant sa progression - l'on
sait que le canyoneur était sur les lieux de l'accident
dès jeudi à 17h45. Les résultats de l'autopsie effectuée
par le médecin-légiste King-Siong devraient éclairer
les enquêteurs sur ce point.
Nathalie Le Bouder
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Découvert par trois
de ses amis
Sa famille ne s'est inquiétée que vendredi soir car
Frédéric Bertil l'avait avertie qu'il partait pour deux
jours. D'ailleurs, en pratiquant chevronné, il avait
emporté avec lui de quoi s'alimenter, son duvet, et de
quoi s'abriter sommairement, comme on le fait en
canyoning. De surcroît, il était très bien équipé,
avec du matériel pratiquement neuf et sûr. Il avait la
renommée d'être un canyoneur de très bon niveau et sa
famille comme ses amis lui faisaient confiance. Aussi, ne
le voyant pas rentrer, ses proches ont d'abord pensé à
des problèmes de liaison, de transport de matériel par
exemple. Elle a demandé à ses amis - Yan Nicolas, 24
ans, de Petite-Ile, et les frères Fabrice et Thierry
Hoarau, 24 et 22 ans, de Saint-Joseph - d'aller à sa
rencontre.
Avec leur 4x4, ils ont remonté la piste de la rivière
des Remparts en direction du bras du Dimitile puis sont
redescendus jusqu'à Saint-Joseph, sans le croiser.
Constatant qu'il n'était toujours pas rentré, ils sont
repartis jusqu'au pied de la voie descendant de Grand-Coude,
sur la rive gauche du bras du Dimitile, à la hauteur de
la cressonnière, presqu'à sa jonction avec la rivière
des Remparts, un peu au-dessus de l'îlet Edouard. Par
une nuit sans lune, ils ont appelé leur camarade et ami,
mais seul l'écho des montagnes leur répondait. Ils sont
redescendus sur Saint-Joseph, décidés cette fois à
partir sur ses traces. En pleine nuit, ils ont pris la
direction de Grand-Coude et ont amorcé dans la nature
sauvage de l'endroit les trois heures de descente nécessaires
pour arriver au pied de la voie nouvelle que les
canyoneurs avaient ouverte peu de temps auparavant. Ils
était environ 6 heures, hier matin, lorsqu'ils ont aperçu,
du haut du cassé, le corps de leur ami, immergé cent mètres
plus bas dans un trou d'eau, la tête en bas et les pieds
à environ cinquante centimètres en dessous de la
surface. Ils ont alors, à l'aide du téléphone portable
qu'il avaient emmené, appelé le 93.09.30 - plus facile
à retenir sous la forme 930 930 -, le numéro du peloton
de gendarmerie de haute montagne (PGHM) que tous les
habitués de la montagne réunionnaise connaissent par
cur en priant de ne jamais avoir à l'utiliser.
J.-P. S.
Il cultivait la rigueur dans sa
pratique
Frédéric Bertil avait 22 ans. Il vivait chez ses
parents. Passionné par le sport de pleine nature, aimant
la vie et l'effort, il cultivait la rigueur, désireux de
faire partager les joies que lui procurait le canyoning,
selon ses proches. Il venait d'obtenir un contrat de
travail lui permettant de se consacrer à sa passion, en
tant qu'animateur de canyoning auprès de l'association Réunion
Sud Canyoning (RSC) du Tampon. Il devait partir en métropole
pour suivre une formation de haut niveau afin de
perfectionner ses connaissances pour en faire bénéficier
l'association. Il se préparait donc mentalement et
physiquement à cette nouvelle étape avec beaucoup de sérieux
et de persévérance. C'était un combattant. Il avait le
goût de l'effort. La vie, confiait-il dans l'intimité,
est un challenge sur la nature et sur soi.
Conscient des potentialités de la Réunion en matière
de tourisme sportif et de de grand air, il misait
beaucoup sur le développement de cette activité à la
mode et était fier d'apporter sa pierre à la
construction de la Réunion à grand spectacle. Il était
à l'origine, avec des proches, de la création de l'association
Loup, un mot qu'il affectionnait car il signifiait pour
lui, au travers de l'animal mythique, la nature encore
sauvage et respectée.
Au-delà du canyoning qu'il pratiquait depuis cinq à six
ans, il aimait la natation, le VTT, deux sports-loisirs
qu'il pratiquait régulièrement. Il était aussi un
volleyeur de niveau régional, jouant comme attaquant
auVolley-ball club de Petite-Ile (VBCPI).
A l'extrémité de l'impasse des Grillons, au-dessus de
la route Hubert Delisle, à Manapany-les-Hauts, Petite-Ile,
là où habitait Frédéric Bertil, c'était hier la
consternation générale. De nombreux amis, voisins,
amateurs de canyoning, sont venus nombreux apporter leur
soutien aux parents et à la famille de la victime.
J.-P. S.
Dimanche 12 Septembre 1999
Accident de canyoning : décès par noyade
Au lendemain de la découverte par ses amis de l'accident
mortel dont a été victime Frédéric Bertil, 22 ans,
originaire de Manapany-les-Hauts, dans sa descente du
bras de Dimitile dans la vallée de la rivière des
Remparts, en amont de Saint-Joseph (voir notre édition
de dimanche), le docteur King-Siong, médecin légiste, a
conclu à une mort par noyade. Le jeune homme a
probablement heurté un rocher au cours de sa chute, dont
les circonstances précises n'ont pas encore été établies,
même s'il semble selon les gendarmes du PGHM chargés de
l'enquête qu'il possédait une corde trop courte. Comme
il se trouvait seul, son immersion lui aurait été
fatale.
Lundi 13 Septembre 1999
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