EXPEDITION COLAS / GRAND BENARE

   
 

 

( Documents Le Journal de l'Ile )


SECONDE EXPÉDITION DE PASCAL COLAS SUR LES TRACES DE L'ABBÉ SAYSSAC

Des traces humaines dans le rempart du Grand Bénare

Pour la première fois, une expédition partie du rempart du Grand Bénare a atteint la forêt du Tapcal, au dessus d'Ilet-à-Cordes dans le cirque de Cilaos, en ayant recours au minimum à la technique de descente en rappel et ce uniquement en raison des conditions météorologiques. Toujours conduite par Pascal Colas, qui avait ouvert la voie en avril dernier à la tête d'une première expédition, celle-ci, que le Journal de l'Ile a également accompagnée, a débouché sur une importante moisson scientifique et la découverte de traces humaines de passage.

L'abbé Sayssac et ses compagnons en août 1869 ne sont sans doute pas passés très loin de la voie empruntée par la seconde expédition de Pascal Colas. Alors qu'en avril dernier, des rappels s'étaient imposés dès la première partie de la descente, cette fois nous sommes descendus très bas sans utiliser les cordes et si les conditions météorologiques ne s'étaient pas dégradées nous aurions atteints la forêt du Tapcal sans aucun rappel.
En outre, plusieurs repères sur le terrain mentionnés par l'écclésiastique collent avec ceux que l'expédition a rencontrés (voir notre édition du 17 avril dernier). La fois dernière, nous étions partis du Maïdo. Aujourd'hui le point de départ sera la piste forestière reliant les Makes au Tévelave.
Avant toute chose, il faut acheminer jusqu'au bord du rempart dominant Cilaos la totalité du matériel. A la lumière de l'expérience de la précédente exploration, les réserves d'eau ont été largement calculées et chacun emporte au minimum 12 litres du précieux liquide. A cela s'ajoute la nourriture, les effets personnels et en prime un groupe électrogène de 6 kg indispensable à Christian Guillermet (voir encadré).
La technique est rodée. Avec l'aide de porteurs s'organise une noria de sacs. Christian a déployé son parapluie japonais et explore la végétation à la recherche d'insectes. "J'aimerais bien trouver un termite endémique," confie-t-il. "Plus on prend de l'altitude, plus la biodiversité diminue et l'endémisme augmente".
Jean-Michel, l'ornithologue lui, est inquiet. "On ne voit pas beaucoup d'oiseaux. La forêt a été détruite sur plusieurs centaines d'hectares et les oiseaux sont partis". De gros nuages noirs dévalent la pente. La pluie nous enveloppe alors que nous ne sommes plus qu'à un jet de pierre du rempart. Cilaos est plongée dans une ouate blanche. Heureusement, la reconnaissance faite une dizaine de jours auparavant nous permet de retrouver la brèche dans le prolongement d'une ravine à sec qui nous permet de prendre pied en contrebas du rempart.
Les sacs et le matériel sont descendus au bout de cordes et le premier bivouac s'organise dans des anfractuosités de rochers. Christian déploie son piège à papillons. Jean-Michel, lui, a pris son poste d'observation sur un éperon rocheux pour observer le retour des pétrels. Cette fin d'après-midi est somptueuse. Le voile de nuages s'est déchiré et Cilaos est à nos pieds. Alors que la nuit commence à tomber, les cris des pétrels se font entendre. Les silhouettes en ombres chinoises de ces oiseaux superbes se détachent sur le mur blanc des nuages. En une heure, Jean-Michel en dénombrera 93. "Je n'en ai jamais vu autant, indique-t-il. C'est un record".
Véronique, la seule femme de l'expédition, a également commencé ses prospections géologiques. "J'ai l'intention de réaliser un profil du rempart avec les différentes sortes de terrains que nous allons rencontrer", explique-t-il le carnet de notes dans une main, le marteau de géologue dans l'autre.
Il commence à faire frisquet. Une soupe chaude, Yvon étonne tout le monde avec ses boîtes de conserves, et chacun se dépêche de se glisser dans son sac de couchage avec un magnifique ciel étoilé comme toit. A l'aube, le brouillard enveloppe rapidement le camp. Il ne faut pas tarder à se mettre en route. L'objectif est d'atteindre rapidement une plate forme en contrebas où Pascal avait l'intention d'installer le premier bivouac.
Nous laissons Christian et Jacques qui vont rester une journée et une nuit supplémentaires avant de rebrousser chemin. Jean-Michel nous fait un brin de conduite pour poursuivre ses observations de pétrels. La descente dans la caillasse est acrobatique. Il faut parfois tendre une main courante pour sécuriser le passage. En dessous, tout est blanc. Soudain, un papangue s'envole. "On en rencontre rarement à cette altitude, indique Jean-Michel, ils viennent chasser les rats". Voici un superbe massif de faugeasia racemosa. "C'est une plante endémique des régions montagneuses que l'on considérait comme extrêmement rare et que nous retrouvons désormais à chacune de nos expéditions, explique Jean-Michel. Les pétrels choisissent ces sites de végétation dense pour y installer leurs terriers". De fait, les oiseaux ne sont pas très loin et nous aurons la chance d'en observer un au nid.
Nous finissons par prendre pied sur la plateforme suspendue entre deux ravines. Le panorama est superbe même s'il est en partie caché par les nuages. La caillasse a laissé la place à la forêt. C'est là que s'organise le deuxième bivouac sur des terrasses sommairement aménagées, ce qui nous vaudra en pleine nuit roulé dans le sac de couchage de dévaler sur un bon mètre.
En ouvrant un il fatigué le lendemain, le premier regard est pour le ciel. Il ne pleut pas. C'est déjà pas mal. La glissade dans la forêt. Cette troisième journée sera riche en rebondissements.
Pascal parti en reconnaissance devant pousse un cri de surprise : "Des marches !". De fait, une dizaine de marches très marquées s'incrustent dans le sol. "J'en ai vu une, puis deux et en dégageant l'herbe les autres sont apparues".
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Un peu plus loin nous butons sur un emballage métallique. Il est clair que d'autres sont passés là avant nous.
Un passage d'éboulis facilite la progression. Nous atteignons un plateau dominant la forêt du Tapcal alors que la pluie se déchaîne autour de nous. Pascal juge plus prudent d'organiser rapidement un bivouac. Une accalmie permet tout juste de tendre les bâches. Une nuit difficile s'annonce d'autant qu'aux trombes d'eau s'ajoute le vent. Serrés les uns contres les autres, nous tentons de trouver le sommeil. Les bâches laissent passer la pluie par endroits et Jean-Luc va se réveiller dans une véritable piscine. Yvon, lui, finira la nuit assis n'ayant pu retrouver sa place.
Il faut en sortir. Au matin, le temps est maussade mais il ne pleut plus. Nous enchaînons rappel sur rappel pour rejoindre le plus rapidement possible le Tapcal. Dans la foulée nous traversons cette superbe forêt et nous voici pour la seconde fois au pied de la pierre gravée.
A partir de là, nous sommes en terrain connu. Il ne reste plus qu'à descendre vers la ravine la Vierge et remonter sur Ilet-à-Cordes.


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Des espèces d'insectes inconnues

Dans une île aussi "petite" que la Réunion on pourrait penser que l'on a fait depuis longtemps le tour des espèces végétales ou animales. Il n'en est rien. Pour ne prendre que les oiseaux, les premiers sites de nidification des pétrels de Barau n'ont été découverts qu'à une date récente avec les expéditions montées dans les massifs du Piton des Neiges, du Gros Morne et du Grand Bénare par Pascal Colas et les sites de nidification du pétrel noir restent à découvrir.
Encore plus fascinant est le monde des insectes. Directeur de l'insectarium du Port, Christian Guillermet en parle avec passion. A la veillée, il peut vous réciter par cur la liste des 500 papillons de nuit de la Réunion avec leurs noms scientifiques.
En janvier dernier, Christian Guillermet avait participé à une expédition de Pascal sous le Gros Morne où il avait découvert un nouveau papillon de nuit.
Cette fois c'est à pied qu'il a rejoint depuis la piste forestière Tévelave - Makes le premier camp de base installé samedi dernier juste sous le rempart du Grand Bénare. Accompagné de Jacques Poussereau, qui s'occupe bénévolement du classement des collections de l'insectarium et qui est passionné de coléoptères et de lépidoptères, Christian Guillermet a bien été le seul à se réjouir du temps brumeux et humide.
"C'est idéal pour capturer des insectes," souligne-t-il en installant son piège à papillons, un drap tendu dans un cadre avec au-dessus une lampe à vapeur de mercure.
Si la première nuit est un peu décevante : "Neuf espèces seulement, grogne Christian, dont une que l'on trouve dans tous les supermarchés", globalement la récolte est intéressante. "Au total, résume-t-il, nous avons répertorié 40 individus différents dont 90% endémiques. Nous avons retrouvé le papillon de nuit déjà identifié dans le massif du Gros Morne. Nous avons également retrouvé un cent-pieds inconnu".

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De nouveaux sites de nidification
de pétrels de Barau

"A chacune de nos expéditions, nous découvrons de nouveaux sites de nidification. C'est rassurant pour l'avenir de l'espèce". Ornithologue, Jean-Michel Probst accompagne depuis plusieurs années Pascal Colas sur les sommets et dans les remparts de l'île.
La dernière descente du rempart du Grand Bénare a confirmé la règle. De nouvelles colonies ont été découvertes mais aussi malheureusement plusieurs squelettes prouvant la présence de chats harets prédateurs naturels, avec les rats, de ces oiseaux. "Nous sommes actuellement en période d'incubation des ufs, explique Jean-Michel. Cha-que femelle pond un seul uf dans l'année dans un terrier. Les adultes partent jusqu'à huit jours en mer pour aller chercher de la nourriture et reviennent dans les remparts en fin d'après-midi". La découverte d'un site de nidification de pétrels noirs n'est pas encore pour cette fois. De toutes les espèces d'oiseaux endémiques de notre île, le pétrel noir est à classer dans la catégorie des plus menacées. Le nombre de couples estimé il y a quelques années à une cinquantaine a été depuis largement révisé à la baisse. Le pétrel noir se distingue du pétrel de Barau par sa taille: envergure 85 cm, 96 cm pour le pétrel de Barau, longueur 35 cm contre 38 cm, poids 200 g contre 340 g, Plumage : entièrement brun chocolat alors que celui du pétrel de Barau est gris bleuté dessus et blanc dessous et son bec noir, crochu, court et massif. Les observations scientifiques précises du pétrel noir sont peu nombreuses. Contrairement au pétrel de Barau aucune colonie n'a encore été découverte. Six spécimens ont été retrouvés dont deux seulement vivants, le dernier en mars dernier.

Samedi 18 Décembre 1999


 

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