EXPEDITION GROS-MORNE / RAVINE BACHELIER

( Documents Le Journal de l'Ile )

 

 

 

 

 

DU PITON DES NEIGES A SALAZIE EN PASSANT PAR LE GROS MORNE EN 15 JOURS

Première exploration de la ravine Bachelier
sommet du Gros Morne

Après avoir ouvert en 1996 le Bras du Parc dans le massif du Piton des Neiges, Pascal Colas, guide de haute montagne, accompagné d'une équipe scientifique va entreprendre l'exploration de la ravine Bachelier, toujours en partant du Piton, et en passant par le Gros Morne. Pour la première fois une partie de la logistique sera acheminée sur le toit de la Réunion par des ânes.

Deuxième plus haut sommet de notre île, culminant à 3 013 m, le Gros Morne est resté longtemps inviolé. Ce n'est que le 1er septembre 1939 qu'une expédition partie de Cilaos réussit à y planter le premier drapeau au terme de quatre jours d'efforts. L'exploit ne sera renouvelé que 41 ans plus tard (voir encadré).
"Aujourd'hui, indique Pascal Colas, fondateur de Réunion Sensations, si le parcours reste périlleux et technique, c'est une des classiques parmi les courses de montagne. Nous avons été les premiers à la refaire et à l'équiper, depuis l'expédition de 1980, en 1991 et 1992. Il faut compter deux jours au départ du Bloc à Cilaos en passant par le Piton des Neiges. Le premier jour nous montons au sommet du Piton puis nous nous engageons en direction du Gros Morne jusqu'à atteindre une anfractuosité de rocher où nous passons la nuit. Le lendemain, nous poursuivons jusqu'au sommet du Gros Morne, le retour à Cilaos se fait dans la foulée".
Raconté ainsi, cela a l'air tout simple, mais la "balade" n'est pas à la portée du premier venu. "Cela nécessite du matériel adapté et une bonne connaissance de la montagne, confirme Pascal Colas, mais le Gros Morne est inscrit à notre "catalogue" des courses de montagne. Le site a profondément changé à la fin des années 1980, suite à un éboulis qui a d'ailleurs emporté à l'époque le pont sur la route d'Ilet à Cordes. Tout un pan de la montagne est descendu et nous avons dû équiper un rappel de 20 m pour pouvoir atteindre le Gros Morne. Nous n'y sommes pas retournés depuis la dernière saison des pluies et nous risquons d'avoir des surprises".
Le Gros Morne n'est en effet cette fois qu'une étape dans l'expédition montée par Pascal Colas. Accompagné du botaniste Frantz Limier, de l'ornithologue Jean-Michel Probst, du médecin et photographe Jean-Luc Cheron, des photographes Jacques Mouries et Hervé Douris et du caméraman-réalisateur Emmanuel Prudhomme, le guide de haute montagne va entreprendre l'exploration de la ravine Bachelier.

DES ÂNES SUR LE TOIT DE LA RÉUNION

En matière de canyoning, Pascal Colas est une référence locale (voir repères). En 1996, avec à peu près la même équipe, il a descendu en onze jours, déjà en partant du Piton des Neiges, le Bras Duparc, qui rejoint d'ailleurs la ravine Bachelier, à hauteur de la Source Pétrifiante au-dessus de Trou Blanc dans le cirque de Salazie.
"Depuis sept ans, explique Pascal Colas, spécialistes des progressions en montagne et des canyons et spécialistes de la flore et de la faune locale, tous passionnés des milieux naturels réunionnais, se retrouvent autour d'une démarche commune s'articulant autour de trois dimensions complémentaires : sportive, scientifique et historique, riches de nouvelles découvertes à chaque expédition. La quatrième dimension quant à elle ne trouve toujours pas de mots justes pour s'exprimer. Elle n'en demeure pas moins une réalité sur le terrain pour les participants à de telles aventures". Les membres de l'expédition quitteront jeudi matin Cilaos. A noter que pour la première fois des ânes seront mis à contribution pour acheminer jusqu'au sommet du Piton des Neiges une partie de la logistique indispensable. Appartenant à un Irlandais, installé depuis peu à l'Ilet des Salazes sur le sentier conduisant de la route d'Ilet à Cordes au col du Taïbit, les deux quadrupèdes achemineront au total 240 kg sur le toit de la Réunion. Chacun d'entre eux transportera 40 kg en trois rotations. Ce seront les premiers à atteindre le point culminant de notre île.
"Nous partons en autonomie complète, poursuit Pascal Colas. Cela suppose que chacun d'entre nous aura trois sacs à porter afin que l'expédition puisse tenir une quinzaine de jours. L'utilisation de l'hélicoptère pour des ravitaillements en eau, en nourriture, en matériel ou pour des secours ne se fera qu'en cas d'extrême urgence. Toutefois, nous ne trouverons pas d'eau sur le terrain depuis le gîte du Piton des Neiges jusqu'à la résurgence de la ravine Bachelier. C'est à dire, pendant cinq jours minimum. En conséquence, si après un repérage préalable, il s'avère que l'eau ressurgit trop bas dans le canyon, nous nous autoriserons un dépôt d'eau au sommet du Gros Morne, ceci afin d'éviter un portage trop "monstrueux". Enfin, nous serons particulièrement attentif au respect de l'environnement. Tous les déchets seront ramenés".

UN CANYON INEXPLORÉ

Pascal Colas et ses compagnons, partis du Bloc, seront à pied d'uvre au sommet du Piton des Neiges dans la journée de jeudi. De là, il leur faudra deux à trois jours, à partir de vendredi, pour effectuer la traversée jusqu'au Gros Morne. "Compte-tenu de la charge que porte chacun d'entre nous, explique Pascal Colas, le principe de la progression est d'effectuer en permanence des aller-retour, déposer un sac, venir en reprendre un autre et ainsi de suite". La descente de la ravine Bachelier proprement dite représente un dénivelé de 1 450 m à partir de 2 600 m d'altitude pour une distance à parcourir, jusqu'au confluent du Bras Duparc, de quatre kilomètres. "Ce canyon n'a encore jamais été exploré, souligne Pascal Colas. Son profil et son milieu naturel sont aujourd'hui totalement inconnus du monde scientifique et sportif". En effet, l'expédition dépasse la simple prouesse sportive, déjà conséquente, d'ouverture d'un nouveau canyon. Elle va s'accompagner de prospections et d'inventaires dans les domaines de la botanique, de l'ornithologie, de l'hydrobiologie et de l'hydrogéologie. "La composition de l'équipe n'étant pas indéfiniment extensible, indique Pascal Colas, deux spécialistes de la flore et de la faune regrouperont l'ensemble des informations. Les données recueillies seront ensuite mises à disposition des organismes scientifiques ou institutionnels intéressés tels que le Conservatoire botanique de Mascarin, la Direction régionale de l'environnement ou encore l'Observatoire réunionnais de l'eau comme nous l'avions fait lors de l'exploration du Bras Duparc." C'est ainsi que depuis 1989, les investigations "in situ" à vocation scientifique des milieux naturels réunionnais se sont enrichis de multiples observations nouvelles, réalisées dans des secteurs montagneux jusque là réputés difficiles à atteindre, voire inaccessibles. "En effet, fait remarquer Pascal Colas, si les spécialistes de progression en montagne peuvent pratiquer leur discipline et leur passion sans le concours des scientifiques, l'inverse s'avère pratiquement illusoire, tant les milieux d'altitude à la Réunion montrent des reliefs abruptes et rudes". Si l'expédition gère sa progression en fonction des caractéristiques physiques du milieu, c'est-à-dire des aléas climatiques et des possibilités d'installation des bivouacs, les emplacements de ces bivouacs et leurs durées dépendent avant tout de l'intérêt exprimé par les scientifiques de l'équipe quant aux nécessités d'explorations et d'inventaires aux abords du cours d'eau. Deux sites, à des altitudes différentes, seront ainsi inventoriés en détail lorsqu'ils auront été préalablement considérés comme représentatifs du point de vue de la structure de végétation et de leur bio-diversité.
L'expédition de la ravine Bachelier s'attend à ramener une moisson d'informations. "Sur le plan botanique nous pouvons d'ores et déjà supposer que diverses espèces végétales peu communes jalonneront notre parcours, estime Pascal Colas. Sur le plan ornithologique, de précédentes expéditions organisées par Réunion Sensations ont permis de découvrir neuf colonies de Pétrel de Barau et six de Puffin de Baillon. Nous essaierons de découvrir s'il n'existe pas dans ces sites reculés des espèces rares comme le tuit-tuit ou le pétrel noir. Enfin nous devrions ramener des données intéressantes sur l'hydrologie au dessus de 1 500 m".

SUR LA PISTE DES MARRONS

Le dernier volet particulièrement fascinant de cette très belle aventure pourrait être la découverte des traces de présence humaine dans ces lieux reculés. "D'anciens écrits relatifs à l'histoire encore très controversé des esclaves en fuite au 18e et 19e siècle à la Réunion font référence à des itinéraires de montagne qu'auraient emprunté ceux-ci. J'en ai découvert un dans le massif du Grand Bénare à 2 000 m d'altitude, indique Pascal Colas. Lors de la descente de la ravine Duparc nous sommes tombés sur une espèce végétale qui n'avait pu qu'être plantée. Les arêtes représentaient des axes de déplacement privilégiés pour ces esclaves mais ces derniers devaient régulièrement retourner dans les ravines, entre ces crêtes, pour se ravitailler en eau.Les deux types d'expédition, courses d'arêtes et canyons, constituent donc les sources de découvertes potentielles majeures quant à l'histoire des fugitifs à propos desquels se murmurent encore de nombreuses légendes".
Alain Dupuis

   

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